Pour la troisième année consécutive, le Festival de la Décroissance a réuni, du 25 au 27 juillet 2025, de nombreuses personnes venues de toute la France – et parfois de plus loin – dans un esprit de dialogue, de confrontation fertile des idées, et de construction collective. Présent-e-s lors des deux précédentes éditions, nous avons mesuré combien cet événement, situé à l’intersection des savoirs scientifiques, des pratiques citoyennes et de l’engagement politique, constitue une véritable respiration intellectuelle – une oasis de lucidité et de débat constructif au cœur d’un paysage médiatique trop souvent saturé de déni, de relativisme complaisant, de résignation et de cynisme politique.
Plus d’un demi-siècle d’alertes et de réflexion
La décroissance n’est ni une récession ni un renoncement mais désigne, dans son acception théorique, une remise en question radicale de la croissance économique comme finalité ultime des sociétés modernes. Dès les années 1970 (voire un peu avant), des penseurs comme Nicholas Georgescu-Roegen, Ivan Illich ou André Gorz ont alerté sur les limites bio-physiques de la planète et sur l’absurdité d’un modèle de développement fondé sur l’exploitation infinie de ressources finies. Le rapport Meadows publié en 1972 par le Club de Rome – sous le titre The Limits to Growth – posait déjà les bases d’une critique rationnelle du productivisme. Depuis, cette pensée a été nourrie par des auteur-ice-s contemporain-e-s tels que Serge Latouche, Cornelius Castoriadis, Geneviève Azam, Agnès Sinaï ou encore Timothée Parrique, qui articulent décroissance, justice sociale, démocratie réelle et respect du vivant.
Pour aller plus loin : l’éco-anxiété n’est pas pathologique, le déni écologique oui
Le projet de la décroissance n’est ni celui d’une autre croissance (« verte », par exemple), ni celui d’un autre développement (« soutenable », « social », « solidaire », etc.). Il s’agit de construire une autre société, une société d’abondance frugale ou de prospérité sans croissance. Autrement dit, ce n’est pas d’emblée un projet économique, fût-ce d’une autre économie, mais un projet sociétal qui implique de remettre en cause la domination de l’économie sur nos imaginaires politiques (1).
Décroître ou s’effondrer : le choix est vite fait
La décroissance affirme que l’effondrement est déjà en cours. Il s’incarne dans l’érosion accélérée de la biodiversité, le dérèglement climatique, les famines silencieuses, les inégalités grandissantes, la perte de sens au travail, la destruction du lien social. Ce que nous appelons encore croissance économique n’est bien souvent qu’un artefact statistique, maintenu sous perfusion de dette, d’extractivisme intensif, et de spéculation financière. Vous souvenez vous d’un seul moment de votre vie où le système n’était pas en « crise » ? Face à ce constat, la décroissance est une proposition raisonnable, planifiée et volontaire : il s’agit de sortir du paradigme de l’accumulation sans fin, pour adopter des modes de vie plus justes, débarrassés des besoins inutiles que créer sans cesse le capitalisme pour se maintenir.
Pour aller plus loin : Comment rompre avec le fatalisme et l’indifférence ?
Le gouvernement Macron n’est pas erratique, il ne tape pas dans tous les sens. Il a un projet, le même que celui de la plupart des gouvernements occidentaux : en finir avec la démocratie. Ils veulent la liberté financière sans la liberté politique ; le libéralisme sans la démocratie. Ils ne veulent plus de contraintes — ni écologiques, ni politiques, ni d’État, ni féministes, ni queer, ni antiracistes — ils exigent l’aliénation des peuples et la liberté absolue des mouvements financiers (2).
Des convergences fortes, malgré des divergences de forme
Ce qui frappe durant ces trois jours de festival, c’est la richesse des débats. Paysan-ne-s en lutte, ingénieu-e-s repenti-e-s, élu-e-s en rupture avec les logiques de croissance, activistes écologistes, chercheur-euse-s critiques du développement, chacun-e vient avec son langage, ses références, son horizon d’attente. Pourtant, au-delà des styles et des sensibilités, une convergence s’impose : le capitalisme néo-libéral, financiarisé, extractiviste, ne fonctionne pas. Il mène à la guerre, aux migrations forcées, aux destructions sociales et écologiques. Ce n’est pas l’alternative qui fait défaut, c’est le pouvoir de la mettre en œuvre.
Pour aller plus loin : Crépuscule hégémonique et sursaut autoritaire : quand les élites résistent à leur déclin
Les résistances viennent d’en haut, des détenteurs du capital et des relais politiques qui refusent d’envisager une autre voie. La récente loi Duplomb, emblématique de cette dissonance entre gouvernant-e-s et gouverné-e-s, a été au cœur des échanges. En légiférant contre la régulation écologique au nom de la compétitivité économique, elle illustre jusqu’à la caricature un système à l’agonie qui préfère nier la réalité plutôt que d’y faire face – quitte à piétiner les processus démocratiques.

Un bol d’air intellectuel et militant
Malgré la gravité des constats, une énergie palpable anime le festival. Les ateliers pratiques, les concerts, les forums ouverts, les rencontres informelles tissent des liens entre les luttes, créent des ponts entre les territoires, font émerger des idées concrètes : cantines solidaires, monnaies locales, coopératives agricoles, pédagogies alternatives, stratégies de désobéissance civile, expériences d’autogestion… Les initiatives sont nombreuses, souvent marginalisées dans les grands récits médiatiques, mais bien vivantes et déjà en action. Ces trois jours font du bien, non pas dans un élan de consolation ou de repli communautaire, mais parce qu’ils rappellent que penser autrement est non seulement possible, mais déjà en cours. Le changement ne vient pas d’en haut : il infuse lentement, par capillarité, dans la société civile. Certes, le tempo demeure trop lent au regard de l’urgence climatique et sociale, mais il est irréversible. En cela, le festival de la décroissance est plus qu’un événement : il est un marqueur de ce basculement.
Un article proposé par Irène Diesel
Sources et ressources :
(1) https://www.monde-diplomatique.fr/publications/manuel_d_economie_critique/a57054, Serge Latouche, 2016
(2) On ne dissout pas un soulèvement : 40 voix pour les soulèvements de la Terre, Geneviève Azam, 2023
Décroissances : Regards croisés sur les urgences du temps, 2023
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