L’art de ne rien foutre

La lutte constante pour la survie laisse peu de place à la contemplation ou à l’exploration.

C’est lorsque l’être humain n’est plus entièrement absorbé par les impératifs de la survie — comme bouffer, avoir un toit ou subvenir à ses besoins les plus fondamentaux — qu’il peut alors se tourner vers d’autres préoccupations. C’est vrai, « ne rien foutre », « ralentir », c’est un peu un privilège de bobo. Et nous, chez contremag, les privilèges, on les prend, on les rassemble, on en fait une grosse boule, on la pétrit, on l’étale et on la partage équitablement.

Si Platon et ses potos ont pu philosopher peinards, dans leurs garden parties, c’est parce qu’ils avaient d’autres personnes pour faire le sale boulot à leur place. Qu’il s’agisse des femmes ou des esclaves (qui n’étaient pas reconnu-es comme citoyen-nes au sein de la « démocratie Athénienne »), ces groupes étaient systématiquement exclus de la vie politique. C’est pourtant grâce à iels qu’aujourd’hui ces messieurs se pavanent dans les grands livres d’histoire (qu’ils ont eux-mêmes écrit).

Pendant que certains refaisaient le monde en buvant de l’hydromel en sandales et en toges, d’autres trimaient donc en silence pour laver le parquet et faire la lessive. « Avant de théoriser sur ta réminiscence ou d’allégoriser dans ta caverne, merci d’aller faire ta vaisselle et de ranger ta chambre stp Platon».

Pour que tout le monde puisse bien « rien foutre » régulièrement, et ce de façon équitable, il est indispensable de répartir les tâches au sein de la société. Et ça passe, évidemment, par revaloriser les métiers utiles à la communauté (agriculteur-ices, infirmier-es, plombier-es, couvreur-euses, prof, etc.).

Comme ça on recrute un max dans ces secteurs, les gens qui font ces métiers peuvent se reposer plus souvent, vivre dignement, avec des revenus décents, et philosopher comme Platon (sauf s’iels préfèrent la pétanque, c’est leur droit).

Et donc, les petits moustiques qui font du trading à haute fréquence avec l’héritage de papa, c’est ciao !

« Tu ne sers à rien Benjamin à part détruire des écosystèmes. Et non, ton école à 10k l’année c’est pas du mérite c’est de la reproduction sociale ».

Mais, « Benjam, si tu nous lis, no offense, sache que ce n’est pas une fatalité et que tu peux regagner des points de karma en arrêtant de faire de l’optimisation fiscale, en payant tes impôts et en changeant de travail (et comme tout le monde, toi aussi tu pourras ne rien foutre sans culpabiliser).

Le droit de ne rien foutre, c’est aussi reconnaître le taf qui n’est jamais comptabilisé, parce qu’il n’entre pas dans ce foutu PIB, l’instrument de mesure le plus débile de la planète (probablement inventé par des types qui n’avaient vraiment rien d’autre à foutre pour le coup).

Genre, t’occuper des gosses, sortir le iench, arroser le potager, arroser les actionnaires avec de l’argent public (euh non pas ça du coup), aider ta vieille tante à déménager, préparer des lasagnes pour toute la famille, ou filer un coup de main dans une asso.

Pour que tout le monde puisse enfin se la couler douce, il faut d’abord s’attaquer à la répartition de la charge mentale et faire des efforts communs dans les domaines vitaux pour que puisse fonctionner une société réellement démocra-tchique.

Donc oui, il y aura toujours des trucs un peu chiants à faire mais, franchement, entre planter des carottes bio pour nourrir la planète et faire du drop shipping, le choix est vite fait. Même si on sent un peu la transpi après, c’est vrai, mais ça nous évitera d’aller faire du rameur tous les soirs dans une salle de sport low cost pour éliminer un fast food blindé de pesticides et d’OGM.

A lire : Peut-on être écolo et de droite ?

Une fois qu’on aura fait notre part, on aura bien mérité de bien rien foutre (et assez régulièrement puisque tout le monde y mettra du sien).

Attention, je te vois venir gros malin, quand on dit « ne rien foutre », c’est pas aller skier à Dubaï. On parle de ralentir, de retrouver une forme de lenteur et d’arrêter de se gaver comme des oies de trucs qui nous maintiennent, même pendant nos loisirs, dans une espèce de tension performative à mettre en scène sur les réseaux sociaux.

Tu verras, en plus, c’est meilleur pour la planète et au lieu de faire 10 allers-retours tous les ans dans des pays que tu consommes au lieu de visiter, tu apprendras à te détendre en écoutant les oiseaux ou en faisant la sieste sous un arbre (c’est gratuit pas besoin de développer une app pour ça).

J’aurais encore plein de trucs à dire mais là j’ai envie de ne plus rien foutre pendant au moins deux semaines. Je vais donc citer un truc d’intello afin que ce texte semble un peu plus sérieux :

« À mesure que la machine se perfectionne et abat le travail de l’Homme avec une rapidité et une précision sans cesse croissantes l’ouvrier, au lieu de prolonger son repos d’autant, redouble d’ardeur, comme s’il voulait rivaliser avec la machine. »

– Paul Lafargue, Le Droit à la Paresse (1880)

Un texte de Comme un Démon


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5 réflexions sur “L’art de ne rien foutre

  1. Merci pour cette éloge de l’oisiveté qui prend sens durant ces fortes chaleurs et ces gras matins.
    Bonne plus rien à foutrise et à bientôt pour de nouvelles contemplations.

Répondre à Clariane Bri Annuler la réponse.