L’interminable règne du macronisme

Le macronisme produit une dévastation sociale et démocratique mesurable : un pays fracturé, des institutions asphyxiées, des inégalités immenses, un peuple condamné à l’incertitude… Dans cette lente et douloureuse agonie, François Bayrou et les autres figures interchangeables du pouvoir font figure d’intrigants délabré-es, usant ad nauseam de la même doctrine comme seul vaccin face à un virus inoculé par leurs propres réformes.

Le Sarkozyme comme incubateur du pire

Le macronisme n’est pas né du néant : il est l’héritier direct d’un sarkozysme gangrené par ses réseaux « mafieux » et son mépris républicain, auquel s’est greffée l’imposture d’un Parti Socialiste déjà acquis aux dogmes néolibéraux (et ce depuis 1983). C’est au sein de ce PS allié à la finance qu’Emmanuel Macron, ministre de l’Économie de François Hollande, put expérimenter son credo pro-finance (le soit disant « ennemi »), dans la continuité d’une politique d’austérité et de cadeaux aux grandes fortunes. La loi El Khomri et la brutalité policière qui l’accompagna, sous l’œil martial d’un Manuel Valls maintes fois recyclé en figure réactionnaire (hypothétiquement de gauche, dans un univers parallèle nous étant inaccessible), marquaient déjà la matrice : gouverner par le mépris social et la force (1). Les médias, dans ce décor, suivent docilement, de plus en plus concentrés entre les mains des grandes fortunes et transformés en outils de propagande, comme ce fut le cas dans l’Europe des années 1930 où la concentration de la presse prépara l’avènement du pire (2).

Un gouvernement de la menace perpétuelle et de la culpabilisation

Depuis des temps immémoriaux, le discours est toujours le même : les Français-es vivraient au-dessus de leurs moyens, ils devraient travailler plus longtemps, réduire leurs droits sociaux, faire des sacrifices pour l’avenir. La dette publique, brandie comme un épouvantail, sert d’argument ultime pour justifier toutes les régressions. Or, nombre d’économistes l’ont montré : la dette n’est pas un gouffre insurmontable mais un instrument de politique budgétaire (3). Les maintes cures d’austérité nous ayant été imposées ces dernières décennies n’ont fonctionné que pour une poignée d’oligarques perfusés à l’argent public et refusant de concéder le moindre denier en retour.

À chaque réforme, la rhétorique néolibérale culpabilise : si l’hôpital croule, c’est que « nous dépensons trop » ; si le climat s’emballe, c’est aux citoyen-nes de « changer leurs comportements » ; si les caisses sont vides, c’est la faute de celleux qui osent revendiquer leur droit à la dignité. Dans ce théâtre politique, les responsables ne sont jamais les multinationales exonérées d’impôts ni les grandes fortunes protégées, mais l’ouvrier-e, l’enseignant-e, le/la chômeur-euse, le/la migrant-e ou l’étudiant-e sommé-es de « faire un effort ».

La dette, passée de 2 281 milliards en 2017 à 3 345 milliards en mars 2025, s’explique, il est vrai, par plusieurs facteurs déterminants : la pandémie de Covid-21, la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine ainsi que la baisse globale des impôts et des réformes fiscales favorables aux plus riches comme la suppression de l’ISF (211 milliards de cadeaux fiscaux aux entreprises par an). Pour y remédier, une taxe de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros, inspirée des travaux de l’économiste Gabriel Zucman, visait 1 800 contribuables et aurait pu rapporter 20 milliards par an. Rejetée. Ajoutons à cela la fraude fiscale estimée entre 80 et 100 milliards d’euros quand la fraude sociale est estimée à 7,25 milliards (8). Aujourd’hui, ce sont 40 milliards réclamés par le premier ministre dont la confiance doit être soumise au vote de l’assemblée aujourd’hui. 40 milliards ponctionnés, comme toujours, sur les plus précaires. Sans parler des réformes portées par décrets, en catimini, comme le doublement des franchises de l’assurance-maladie (déjà doublés l’année précédente) (9).

Macron avait promis que l’argent libéré irriguerait l’économie réelle (le ruissellement), créant emplois et prospérité. Huit ans plus tard, le constat est implacable : jamais les ultra-riches ne se sont autant enrichis et jamais les inégalités n’ont autant progressé (4).

La société française sous emprise

Le macronisme ne cherche même plus à convaincre : il contraint. L’usage massif de l’article 49.3 en est l’illustration la plus éclatante : faute de majorité, on impose. La réforme des retraites de 2023, rejetée par une immense majorité des citoyen-nes, fut ainsi arrachée par la force législative, au prix d’une crise démocratique sans précédent. De même, les Gilets jaunes furent réprimés par une violence policière inédite depuis des décennies : mutilations, arrestations massives, surveillance généralisée (5).

Le gouvernement a multiplié les lois liberticides : loi « sécurité globale », loi « séparatisme », extension des pouvoirs de police en période d’état d’urgence sanitaire, reconnaissance faciale maintenue après les jeux olympiques… Chaque évènement est prétexte à renforcer l’exécutif et à réduire les libertés publiques. La démocratie se réduit peu à peu à un rituel électoral vidé de son sens (et non respecté lors de la dernière dissolution), tandis que le peuple, sommé d’obéir, se voit criminalisé dès qu’il proteste. C’est là un mode de gouvernement fondé sur l’humiliation et le mépris, où la supériorité autoproclamée du chef légitime toutes les violences contre ceux qui n’auraient « pas bien compris » les bienfaits d’une cure infinie d’austérité sélective.

Dans La Pensée perverse au pouvoir (Anamosa), le sociologue Marc Joly mobilise les travaux du psychanalyste Paul-Claude Racamier, théoricien de la « perversion narcissique », pour analyser l’attitude d’Emmanuel Macron. Selon lui, le président a placé la société française sous emprise, évacuant tout conflit intérieur en transférant cette charge sur autrui (6).

Une fascination non dissimulée pour l’extrême droite

Dans cette ère de médiocrité politique, le véritable gouffre est la destruction du lien social, le démantèlement des services publics et l’érosion des libertés. Emmanuel Macron n’a pas seulement gouverné : il a dissous la confiance démocratique, il a sacrifié le pays sur l’autel d’un système en décomposition qui ne bénéficie plus qu’aux logiques de prédation.

Cela a été dit maintes fois mais il est toujours utile de le rappeler, le macronisme, loin d’endiguer la montée des périls, en constitue l’un des plus puissants accélérateurs. En prétendant incarner seul le barrage républicain face à l’extrême droite, Emmanuel Macron en a méthodiquement préparé le terrain : en reprenant son vocabulaire sécuritaire, en légitimant ses obsessions identitaires, en menant une politique sociale si brutale qu’elle nourrit le désespoir dont se repaissent les démagogues, en criminalisant les forces de gauche (alors que des groupuscules néonazis défilent tranquillement dans Paris), en discréditant la démocratie représentative par ses coups de force institutionnels, il a pavé le boulevard d’un extrême droite gargarisé.

Tout bloquer le 10 septembre : feu de paille ou feu de joie ?

Les mobilisations contemporaines, bien qu’animées par une indignation profonde – qu’il s’agisse de la question climatique, des inégalités sociales, des discriminations ou encore des violences policières – peinent encore à constituer un front commun. Trop souvent, chaque collectif défend son îlot, érige sa cause en priorité absolue, et s’enferme dans un registre qui rend difficile l’agrégation des colères. Comme au temps des révoltes rurales ou urbaines étudiées par l’historien Jean Nicolas, le défaut de convergence empêche le basculement vers un projet plus global (7).

À cela s’ajoute le jeu des tactiques politiciennes, dont l’effet est de morceler davantage encore les luttes. Chaque parti, chaque mouvement, cherche à instrumentaliser une revendication pour servir sa stratégie électorale ou médiatique, plutôt que de l’inscrire dans une perspective d’unité. Cette logique d’isolement produit un effet de neutralisation : les énergies contestataires s’entrechoquent, s’épuisent dans des combats partiels, et manquent la possibilité de se fédérer autour de ce qui pourrait constituer une véritable dynamique révolutionnaire, au sens d’un changement systémique.

Pour dépasser ce stade, il faudrait cesser de juxtaposer des colères isolées, et retrouver ce qui, dans la diversité des luttes, constitue un socle commun : l’exigence d’une société plus juste, plus égalitaire et réellement démocratique. Cela n’empêche en rien de prendre part aux mobilisations du 10 septembre et aux suivantes : chaque présence compte, car plus nous serons nombreu-ses, plus nous ajouterons une pierre à cet édifice patient qui se dresse face à l’adversaire redoutable qu’est la finance mondialisée.

Un article proposé par Corpus


Sources et ressources :

(1) https://www.politis.fr/articles/2014/01/francois-hollande-br-le-social-democrate-imaginaire-25278/
(2) https://www.arretsurimages.net/emissions/je-vous-ai-laisse-parler/johann-chapoutot-le-nazisme-et-les-irresponsables-de-lextreme-centre
(3) Dette. « Le problème de la France n’est pas son endettement, mais la répartition de ses richesses », Ouest France, 01/25
(4) https://archive.org/details/videoplayback_20230129_1813
(5) https://www.capital.fr/votre-argent/les-ultra-riches-nont-jamais-ete-aussi-riches-1514614
(6) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/11/la-pensee-perverse-au-pouvoir-dans-la-tete-d-emmanuel-macron_6442525_3232.html
(7) https://www.youtube.com/watch?v=yifOol0mleY
(8) https://www.alternatives-economiques.fr/fraude-fiscale-ecrase-toujours-fraude-sociale/00107583
(9) https://www.humanite.fr/social-et-economie/acces-aux-soins/budget-2026-en-catimini-francois-bayrou-et-emmanuel-macron-publient-trois-decrets-et-doublent-les-franchises-medicales


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