Je me pensais féministe. Je pensais que parler fort, boire « comme un homme », baiser, me battre. Bref, être une dure à cuire… je pensais que c’était ça, être féministe. Mais j’ai compris qu’avoir une grande gueule et faire du bruit c’était aussi parler plus fort que les autres femmes. Et qu’en pensant m’affranchir d’une certaine “féminité”, j’allais en réalité exactement là où les hommes attendaient que je sois.
J’étais LA bonne pote qui déconne, celle qui picole, qui baise, qui déborde, celle qui a toujours des aventures folles à raconter. J’ai toujours été celle qui fait la course avec les garçons. Et on m’a toujours valorisée pour ça. Je n’avais pas peur. Pas froid aux yeux. Mais à vouloir constamment battre les hommes et les impressionner, j’étais (sans m’en rendre compte) en quête de leur validation et donc dans une sorte de séduction permanente. Cette quête a entraîné des comportements nocifs pour moi et pour les autres. Tout ça est lié sans doute à mon histoire de vie: le sexisme voire la misogynie dans laquelle j’ai grandi (judo, relations), ma relation à mon père, mon lien à ma mère, et mes relations aux garçons et aux hommes depuis mon enfance. Bref, tout ça me concerne moi et seule ma psy doit écouter ces réflexions intimes. Ce qui m’intéresse aujourd’hui, à travers mon propre rapport aux hommes, c’est la place et la posture qu’ils occupent dans la société en général.
Pour aller plus loin : La misandrie comme comme forme d’opposition à la domination masculine
« J’ai constaté chez les hommes, une certaine incapacité à se regarder vraiment «
Par homme, j’entends les hommes hétérosexuels cisgenres, parce que c’est en majorité avec eux que j’ai relationné jusqu’à présent. L’homme donc, bien trop campé sur ses privilèges, a du mal à se regarder vraiment. Le cheminement que je viens de faire, me concernant, m’a amené à me remettre en question de manière réelle. C’est un long travail (jamais achevé) de déconstruction mais je m’y attelle quotidiennement. J’ai d’abord fait amende honorable auprès des personnes que j’ai blessées et j’essaye de modifier de manière concrète mes comportements …. Je connais peu d’hommes sur ce chemin. Nous sommes toujours les « hystériques, les casse couilles, les féminazis, les mal baisés, les chieuses ». Il est grand temps d’arrêter de minimiser nos luttes. J’ai beaucoup de colère quand je me heurte à la moquerie et à la négligence des hommes vis à vis des femmes qui dénoncent. Je remercie d’ailleurs les véritables allié-es qui nous entourent, iels se reconnaîtront.
« Je parle de nos frères, de nos pères, de nos amis, de nos amoureux »
J’ai remarqué que quand les hommes veulent quelque chose, ils le prennent. Je veux, je prends. C’est comme ça. Ils sont tellement habitués à nous dominer qu’ils ne s’en rendent même plus compte. Je suis devenue exigeante voire intransigeante avec moi-même. Je le suis désormais avec les hommes aussi. Je ne peux pas être féministe dans mes discours mais ne pas l’être avec les hommes qui m’entourent. Ça a fait le tri dans mes amitiés masculines mais c’est pour le mieux. J’ai trop accepté et excusé des comportements problématiques. Trouver des excuses, toujours. C’est terminé. Nous sommes en 2025. Les hommes ont des comportements problématiques avec les femmes. Je ne parle même pas que du mec bourré qui t’aborde à 3h du mat. Je parle de nos frères, de nos pères, de nos amis, de nos amoureux. Dans la sphère de la famille, du couple, les rapports de domination sont tenaces. Nous sommes toustes englué-es dedans parce que c’est ce que la société de domination nous a appris. C’est ce que nous voyons à la télé, dans les films, dans les publicités. Notre imaginaire collectif est complètement imbibé de sexisme. Il est nécessaire d’être alertes et exigeant-es avec nos proches : de dire, de reprendre, de souligner, d’expliquer.
« Bref, les hommes veulent, ils prennent »
Je cours depuis le lycée et j’ai toujours couru en cachant au maximum mon corps et en contournant les endroits où des hommes étaient sur mon chemin. Un groupe de jeunes gars devant un lycée, des travailleurs sur un chantier : demi-tour. Malgré ces précautions, j’ai été sifflée, klaxonnée, apostrophée voire insultée. Un mec s’est même masturbé alors que je terminais ma course à côté de sa voiture. Bref, les hommes veulent, ils prennent. En l’occurrence dans la rue, ils prennent notre quiétude, notre tranquillité, notre sécurité. Ils prennent bien sûr notre liberté: liberté de se déplacer, de faire du sport et d’investir la rue sans que brutalement, grossièrement, ils nous renvoient à notre statut d’objet. Objet de LEUR désir. L’homme verbalement et publiquement m’assigne à cette place. Souvent je me demande : qu’est-ce qu’un homme pense intérieurement en faisant ça ? Il sait pertinemment que je vais être mal à l’aise non ? Que je vais avoir peur ? Que cherche-t-il ? À me montrer sa domination.
« Un jour, j’ai compris que ma mère était en fait misogyne »
Depuis enfant j’ai toujours entendu mon père faire des commentaires sur le corps des femmes : à la plage, dans la rue, à la télé … et j’ai toujours ressenti un profond malaise. Je ne trouvais pas ça valorisant, je trouvais ça dégoûtant. Je me disais que si je croisais mon père en courant, il pourrait poser ce regard sur moi. Une sportive de haut niveau à la télé par exemple, allait systématiquement être renvoyée à son galbe, à ses longues jambes, à son corps. Des commentaires sexistes qui ramènent la femme à sa place d’objet de désir, que l’homme valide ou pas DONC qu’il domine. Le pire, c’est que ma mère (et les femmes en général) faisait de même. Un jour, j’ai compris que ma mère était en fait misogyne. Et moi aussi je l’étais, inconsciemment. On nous a trop appris à être les unes contre les autres. J’ai du moi même travaillé sur mon rapport au corps des femmes dans l’espace public. Le corps des femmes n’est pas disponible pour nos commentaires.
« Je n’ai jamais couru aussi vite, tant j’avais la rage »
À chaque fois que je cours et que j’ai droit à un commentaire, à chaque fois, c’est comme si un homme voulait me montrer son pouvoir. L’homme me dit ce que je suis. Belle, bonne, charmante, qu’importe. Il s’arroge ce pouvoir de me définir. Et il me réduit à mon apparence physique. C’est tellement réducteur. Nous aussi nous voyons des hommes qui nous plaisent dans la rue ! Pourtant nous nous comportons de manière civilisée et respectueuse. Nous ne leur donnons pas une note publiquement, en gueulant ! Ça paraîtrait fou si les femmes faisaient ça dans la rue !
L’autre jour, un gars a innové, il m’a hurlé : « Tu sais pas courir ! ». Je n’ai jamais couru aussi vite, tant j’avais la rage.
Mais les places assignées sont lourdes à bouger, même chez les gens de gauche. Lisez, écoutez des podcasts, parlez avec des féministes, parlez avec des femmes. Allez en thérapie. Arrêtez de camper sur vos certitudes. Ce n’est pas grave de s’être trompés (je me suis beaucoup trompée) mais encore faut-il le reconnaître.
Il est grand temps que les hommes se fassent discrets ou deviennent nos alliés. Car en effet, on ne peut plus tout dire. Il est grand temps que meure le patriarcat.
Un texte proposé par Mathilde Monneraud
Crédits Photo : Jordan More-Chevalier
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