“On vous a réservé des champs un peu moins bien, les bons on les a gardés pour nos vaches, désolé ! » c’est ce qu’a lancé tout sourire Gilles, agriculteur ornais sur la scène de la plénière d’ouverture du Festival Les Résistantes qui s’est tenu du 07 au 10 août dernier. Après une première édition dans le Larzac en 2023, cet événement co-organisé par Terres de Luttes et le collectif 924 entend “fédérer celles et ceux qui luttent, localement, contre les grands projets imposés et polluants.” Cette année, il s’est établi dans l’Orne, entre autres grâce à Gilles donc et d’autres paysan-nes du coin ayant prêté leurs terres.
Pendant cette plénière, chaque intervention est suivie d’applaudissements enthousiastes. Après la prise de parole des organisateur-ices, du collectif 924 grâce auquel un projet de 2×2 deux voies a été avorté à deux pas d’ici, ou encore après la présentation des différentes commissions d’organisation. Nous étions sans doute galvanisé⸱es par la joie d’être ensemble, de voir les 12 chapiteaux fièrement érigés et face à la perspective de ces 4 jours d’ateliers, de conférences, de tables rondes dédiés aux luttes sociales en tous genre.


A la fin de ce premier “vrai” temps du festival plane un air de résistance. Une résistance qui semble là, bien en place, et ce partout sur les territoires. Une résistance qui nous précède et qui nous autorise à rêver d’autres possibles. Et puis la claque. Celle de notre incapacité collective et individuelle à embrasser l’intersectionnalité ailleurs que dans nos bibliothèques, nos playlists de podcasts, ou nos bonnes intentions.
Si le programme du festival, qui a été construit à 140 mains, a permis une diversité des sujets sur le papier, les réflexes et micro-agressions racistes ont repris le dessus dans l’articulation de certains temps, dans les usages des différents espaces, et dans les interactions entre festivalier⸱ères et intervenant⸱es. Au point où, pendant la plénière de clôture un collectif autoformé de personnes racisé⸱es s’est exprimé spontanément pour dire sa colère et son malaise.
Alors qu’est-ce qu’on peut faire, en tant que personne blanche, pour devenir de véritables alliées ? Et ce notamment dans les sphères militantes ? L’enjeu est grand : rendre possible une convergence des luttes qui ne soit pas délétère pour les militant⸱es racisé⸱es et qui prenne toute la mesure des liens entre colonialisme, capitalisme et écologie.
Voici quelques pistes évoquées depuis longtemps déjà par des militant⸱es et chercheur⸱euses racisé⸱es.
Oser se confronter à son propre racisme
Dans son livre “White Fragility : Why it’s so hard for white people to talk about racism” Robin DiAngelo parle des réflexes défensifs des personnes blanches lorsqu’on mentionne leur propre racisme. Habituées à évoluer dans une société qui valorise leur parole, et chacun de leurs efforts, les personnes blanches ne sont donc pas entraînées à recevoir les critiques et accepter une remise en question. Plus les privilèges s’accumulent, plus les résistances sont fortes.
NDLR : L’autrice, Robin DiAngelo, femme blanche, a été depuis accusée de plagia dans sa thèse de 2004 (1), base de son livre publié en 2018. Elle aurait copié des passages de thèses de chercheur-euses racisé-es (notamment Thomas Nakayama et Stacey Lee) sans les citer correctement. La plainte est en cours d’instruction.
Une fois l’analyse faite, (qui devra probablement être renouvelée), il s’agira de gérer sa propre culpabilité, sans automatiquement chercher l’approbation et le réconfort des personnes racisées.
Savoir se taire
….et écouter. Vraiment. La tendance dans les milieux militants étant à la recherche de validation intellectuelle, certaines personnes ont tendance à se mettre en avant, directement ou indirectement. Mais, (attention scoop) il est possible d’exister sans intervenir dans une conférence, une table ronde ou un atelier afin de laisser la place aux personnes plus directement concernées par le sujet abordé. Parler “par-dessus” ces personnes et ce faisant, nier leurs paroles, est un des réflexes défensifs de la fragilité blanche. Puisqu’admettre qu’elles disent vrai sans condition, reviendrait à se prendre en pleine face ce racisme intériorisé.
S’informer, se former, s’éduquer
Il faut comprendre que l’écologie ne peut être que décoloniale, populaire et anti-raciste. Pourtant, les théories écologistes majoritaires ne prennent pas en compte ces dimensions. Par exemple, dans son livre Une écologie décoloniale : penser l’écologie depuis le monde caribéen, Malcolm Ferdinand critique l’usage exclusif du terme “anthropocène.” D’après lui, et d’autres chercheurs⸱euse⸱s, le terme incarne un universalisme qui ne permet pas de matérialiser les inégalités dans les causes du réchauffement climatique, entre ceux qui ont contribué largement aux destructions du vivant, et les personnes dont l’exploitation et l’esclavagisation ont permis ces destructions massives (2). Sans se substituer au terme d’anthropocène, Malcom Ferdinand parle lui, par exemple, de “negroscène” en mettant en exergue le rôle de la traite négrière transatlantique dans ce qu’il appelle “l’habité colonial” de la terre.
Si la loi Duplomb a fait l’objet de nombreux débats, d’une forte présence médiatique et d’une importante mobilisation citoyenne, ce n’est pas le cas pour d’autres situations d’usage massif de pesticides destructeurs pour les humains et les écosystèmes (3). Lors du festival, à l’occasion d’une table ronde intitulée “Pesticides : le colonialisme chimique” les collectifs COAADEP (Collectif des ouvriers agricoles empoisonnés par les pesticides) et Vietnam Dioxine ont pris la parole.
Le collectif COAADEP dénonce l’utilisation prolongée du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe. Alors que l’Etat connaissait la dangerosité de ce pesticide depuis les années 70, il a permis son utilisation pour le traitement des bananeraies jusqu’en 1993. Aujourd’hui, plus de 90% de la population est contaminée et le taux d’incidence de cancer de la prostate y est la plus élevée au monde (4).

La contamination généralisée des sols implique l’impossibilité pour les habitants de cultiver leur propre jardin. Ivana Aletas, journaliste pour le media Histoires Crépues le rappelait à l’occasion de la table ronde “continuité des violences coloniales : répression à la française” cela rend les Martiniquais dépendant des supermarchés. Ils sont pour la plupart détenus par le groupe Bernard Hayot (GBH) pratiquant des prix exorbitants. Ivana Aletas le rappelait encore, Bernard Hayot est d’ailleurs un béké, descendants des premiers colons, en majorité esclavagistes. La fortune familiale qui le précède vient donc de l’esclavage mais aussi de la compensation financière donnée par l’état français aux esclavagistes au moment de l’abolition définitive de l’esclavage en 1848. L’ordre colonial se porte bien.
Le collectif Vietnam Dioxine, lui, lutte pour “la reconnaissance officielle et les réparations suite aux effets de l’usage de l’agent orange durant la guerre du Vietnam.” Cet herbicide développé et utilisé par l’armée américaine pour détruire les forêts et “empêcher la guérilla vietnamienne de s’y cacher”. Cette substance provoque des cancers et des malformations chez les enfants. En 2024, Tran To Nga, militante et journaliste pendant la guerre, a tenté de poursuivre en justice les entreprises ayant produit cet herbicide pour le compte de l’armée américaine. Mais en août 2024 la cour d’appel de Paris a estimé que sa plainte était irrecevable en invoquant l’immunité de juridiction dont les entreprises bénéficient. Sur son compte Instagram Micheline Pham du collectif Vietnam Dioxine rappelle que 2026 sera l’année du recours en cassation (5) et qu’il faudrait que “les écolos soient au rendez-vous.”
Les impacts du réchauffement climatiques sont et seront inégaux
Dans Pour une écologie pirate : et nous serons libres, Fatima Ouassak rappelle par exemple, que les quartiers populaires sont aussi les quartiers qui souffrent le plus de la pollution et des conséquences du réchauffement climatique. Les habitants des Quartiers Prioritaires de la Ville (QPV) sont par exemple deux fois plus nombreux que le reste de la population à être concernés par un “point noir environnemental” c’est à dire une zone multi exposée à des substances toxiques et nuisances environnementales.
Territoires au croisement des oppressions, en 2020 la campagne “On veut respirer” est co-organisée par le comité Adama et Alternatiba à Beaumont-sur-Oise dans le 95. Le but ? Lutter contre la pollution de l’air et alerter sur les pratiques de répression policière telle que la clef d’étranglement.
Apporter du soutien
Via la visibilisation des luttes. Ça semble parfois dérisoire, mais les réseaux sociaux peuvent constituer une véritable plateforme lorsqu’ils sont utilisés massivement pour la même cause. Mais aussi par un soutien financier, lorsque c’est possible. Par exemple Lilith et Chacha militent pour le COAADEP en effectuant une marche en Hexagone tout au long du mois d’août (c’était déjà le cas en 2022) pour dénoncer ce scandale et récolter de l’argent pour faire vivre les missions du collectif (6). Le couple partage cette aventure sur leurs réseaux sociaux @we.are.lilith.chacha.
Laisser la place
Dans les prises de parole et le partage des vécus, pour éviter de tomber dans le “syndrome du sauveur blanc”.
Dans les sphères de prise de décisions des organisations (écologistes). Pour que les personnes concernées participent aux choix stratégiques et éviter une forme de tokenisation, dénoncée en banderoles et en mots, par le collectif ayant pris la parole pendant la cérémonie de clôture du festival.
Pendant les événements / festivals en lien avec les luttes sociales, veiller à organiser des temps dédiés aux personnes racisé·es afin que ces moments ne soient pas uniquement à destination d’un public blanc dans un but de sensibilisation. Les temps en non mixité choisie sont des espaces salutaires qui réparent et qui apaisent, en même temps qu’ils galvanisent.
« C’est aux plus privilégié-es qu’incombe la responsabilité de faire mieux »
Alors en résumé, si on veut être de véritables allié⸱es, il va falloir apprendre à se taire, à écouter, tourner 7 fois la langue dans sa bouche avant de parler. S’informer, par soi-même, s’éduquer… Les défis qui nous attendent appellent à une forme de convergence, sauf que c’est aux plus privilégié-es qu’incombe la responsabilité de faire mieux. Faire mieux pour que les personnes racisées ne voient plus leurs vécus, leurs histoires et leurs savoirs niés. Pour qu’enfin, militer en mixité devienne désirable pour elles et que les organisations écolos soutiennent véritablement les luttes décoloniales et anti-racistes, qui ne les attendent évidemment pas pour avancer.
Dans la cérémonie d’ouverture un⸱e des organisateur⸱ices disait que le but de ce festival c’était entre autre de “laisser des traces chez chacun⸱e d’entre-nous, des idées, des collectifs ou des luttes”, et bien voilà quelques traces qui je l’espère, feront office de pivots, individuels et collectifs.
Texte et Reportage de Clémentine Buisson
Sources et ressources :
(1) https://nypost.com/2024/08/26/us-news/white-fragility-author-robin-diangelo-accused-of-plagiarizing/
(2) Donna Haraway and Anna Tsing Reflect on the Plantationocene
(6) https://reporterre.net/Lilith-et-Chacha-marchent-400-km-pour-denoncer-le-scandale-du-chlordecone
Ouassak, F. (2023). Pour une écologie pirate : et nous serons libres.
Ferdinand, M. (2024). Une écologie décoloniale : Penser l’écologie depuis le monde caribéen.
DiAngelo, R. (2018). White fragility : Why It’s So Hard for White People to Talk About Racism. Beacon Press.
Ter. (s. d.-b). 6 luttes décoloniales emblématiques. Socialter. https://www.socialter.fr/article/luttes-decoloniales-agent-orange-autochtones-nucleaire
Kubiak, V. (2025, 27 avril). L’agent Orange, le poison américain qui tue encore au Vietnam, 50 ans après la guerre. Geo.fr. https://www.geo.fr/histoire/l-agent-orange-le-poison-americain-qui-tue-encore-au-vietnam-50-ans-apres-la-guerre-226250
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