Relations Parasociales : les influenceur-euses ne sont pas vos ami-es

Les relations parasociales désignent un type de lien unilatéral qui se développe entre un individu et une figure publique ou médiatisée. Contrairement à une interaction sociale bidirectionnelle, la relation parasociale n’implique aucun échange véritable : la personne investit émotionnellement dans une figure qui, en retour, ne connaît ni son existence ni sa réalité subjective. Ce phénomène trouve dans les réseaux sociaux contemporains un terreau particulièrement fertile.

Simuler l’intimité

Le concept a été introduit pour la première fois en 1956 par les sociologues Donald Horton et Richard Wohl, qui observaient déjà à l’époque la manière dont les téléspectateur-ices développaient des sentiments de familiarité, voire d’intimité, envers les présentateur-ices de télévision. Le/la spectateur-ice avait l’illusion d’une interaction personnelle, comme si la figure médiatique s’adressait directement à ellui. Les émotions suscitées par cette illusion pouvaient être sincères, profondes, et parfois comparables à celles d’une relation amicale ou amoureuse.

Avec l’avènement des réseaux sociaux, des plateformes de streaming et de la culture de l’influence, les relations parasociales ont connu une transformation qualitative et quantitative. Les influenceur-euses, YouTubeurs, streamers ou artistes proposent souvent du contenu dans une esthétique de l’intimité : vlogs, confessions face caméra, stories du quotidien. Cette stratégie narrative entretient l’illusion d’une proximité réelle, d’un accès aux coulisses de leur vie. Pour les abonné-es, cette exposition répétée et apparemment authentique renforce le sentiment d’appartenir à une communauté, d’être « proche » d’une personne célèbre qui, pourtant, reste inaccessible.

Psychologiquement, ces relations ne sont pas nécessairement pathologiques. Elles peuvent procurer un sentiment de réconfort, renforcer l’estime de soi ou aider certains individus à traverser des périodes de solitude ou de vulnérabilité affective. Des études ont montré qu’elles peuvent remplir, temporairement, certaines fonctions psychologiques comparables à celles de relations réelles (Parasocial Interactions and Relationships, Hartmann & Klimmt, 2006).

Ces effets, bien qu’utiles à court terme, sont toutefois ambivalents. Les auteurs insistent sur le caractère asymétrique et illusoire de ces relations : elles ne peuvent offrir de véritable réciprocité émotionnelle, ni répondre pleinement aux besoins d’attachement humain. Il existe donc un risque que l’individu substitue durablement ces liens fictifs aux relations sociales authentiques, ce qui pourrait accentuer un isolement préexistant.

Elles peuvent aussi engendrer des formes de dépendance affective, de déception ou d’obsession, notamment lorsque la frontière entre le fantasme et la réalité s’efface. Des comportements intrusifs, voire harcelants, ont été documentés, en particulier envers les femmes.

Valeur marchande des affects

Par ailleurs, les relations parasociales constituent aujourd’hui un levier économique puissant. Les marques et les industries culturelles exploitent ces liens émotionnels pour vendre des produits, promouvoir des idées ou façonner des comportements. En marketing d’influence, par exemple, la crédibilité perçue de l’influenceur repose en grande partie sur cette relation parasociale : le public a confiance non pas dans l’argumentaire commercial, mais dans la « personne » qu’il pense connaître.

D’un point de vue sociologique, la prolifération de ces relations interroge la transformation des liens sociaux à l’ère numérique. Elle traduit une évolution de la manière dont l’individu contemporain investit son besoin de reconnaissance, de connexion et de sens dans un monde où les interactions de proximité sont parfois dégradées ou absentes.

Ainsi, toute image qui scintille sur nos écrans, tout visage qui s’y donne à voir dans l’éclat spectral de la lumière bleue, n’est que le simulacre savamment orchestré d’un monde qui se vend sous l’apparence du lien. Il ne s’agit point ici d’une relation, mais d’un dispositif — au sens foucaldien du terme — dont l’architecture est fondée non sur la vérité, mais sur l’efficacité symbolique.

Photo de Ron Lach sur Pexels.com

Dans cette optique, l’écran – en tant qu’interface entre le sujet et le monde – n’est pas seulement un objet technologique, mais le point nodal d’un réseau de discours (marketing, narration, propagande), d’institutions (plateformes, médias, industries culturelles), de technologies (algorithmes, captation de données, interfaces immersives) et de pratiques sociales (regarder, liker, commenter, consommer). Il produit des effets de vérité, façonne des subjectivités, normalise des comportements.

Les dispositifs sont producteurs de réalité : ils ne se contentent pas de réprimer ou de censurer, ils organisent la perception du réel, déterminent ce qui peut être vu, dit, pensé, désiré. L’écran, en tant que dispositif de médiation et de contrôle, n’est donc pas neutre. Il filtre, cadre, oriente. Il impose une économie de l’attention, une grammaire de l’émotion, une temporalité accélérée qui configure en profondeur notre rapport au monde, aux autres, à nous-mêmes.

Pour aller plus loin : Messageries instantanées et relations fantômes

Toute intimité devient capitalisable, tout affect est instrumentalisé, et le sujet s’abolit peu à peu dans le vertige de sa propre exposition. Le régime contemporain de la communication se fonde alors sur une illusion fondamentale : celle d’un monde accessible, ouvert, interactif, alors qu’il n’est que la répétition de scripts et la mise en circulation de désirs préfabriqués (aujourd’hui par des intelligences artificielles). La sociologue Eva Illouz nous rappelle dans Les marchandises émotionnelles (2006) que même nos affects les plus intimes sont désormais inféodés à des logiques de marché. L’amour, l’amitié, la proximité sont devenus les supports émotionnels d’un storytelling performatif, où la sincérité s’évalue en taux d’engagement et la vulnérabilité en retours sur investissement émotionnel.

Un article proposé par Chat Gepeto


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