Spoiler alert : Non.
Les valeurs traditionnelles de la droite, axées sur le libéralisme économique, la croissance infinie et le marché libre sont en totale contradiction avec les impératifs écologiques qui nécessitent une régulation de la finance, une prise en considération des externalités négatives comme la pollution, une critique radicale de la croissance et une intervention étatique forte afin de déployer un cadre juridique, technique et éducatif visant à planifier la transformation écologique.
Cependant, il serait simpliste et malhonnête de croire que la gauche de pouvoir a été irréprochable en matière de protection de l’environnement. La gauche de pouvoir est-elle finalement de droite ou les structures actuelles du pouvoir sont-elles faîtes pour gouverner à droite ? Vos réponses en commentaire.
Malgré un discours souvent plus favorable à la réglementation environnementale, les gouvernements de gauche ont souvent échoué à mettre en place des politiques écologiques robustes, se laissant guider par des considérations économiques et politiques à court terme.
Toutefois, et on le verra dans cet article, les pensées de gauche sont tout de même un peu plus cohérentes pour mettre en place une politique réellement écologique.
Les politiques de droite incompatibles avec le concept d’écologie
Le modèle économique de la droite repose sur la croyance quasi religieuse que le bien-être et la prospérité des sociétés dépendent d’une augmentation constante de la production et de la consommation de biens et de services avec un minimum d’intervention de l’état.
Cette vision, héritée des théories libérales, puis néolibérales post seconde guerre mondiale, régit le monde sans réelle opposition depuis environ 80 ans (ce qui prouve qu’on a réussi à faire autrement avant) et sous-tend que l’innovation technologique et le marché libre sont seuls capables de surmonter les limites matérielles et écologiques, assurant ainsi une expansion économique perpétuelle (bienvenue à Poudlard). [1]
Cependant, comme l’ont souligné des penseurs écologistes tels que Nicholas Georgescu-Roegen et Dennis Meadows dès 1972, cette perspective ignore les contraintes physiques imposées par la finitude des ressources naturelles[2]. L’idée de croissance infinie dans un monde aux ressources limitées est mathématiquement impossible.
La gauche de pouvoir rarement du côté de l’écologie
Mais ne faisons pas trop les malins à gauche car si les programmes écologiques sont actuellement du côté des partis classés comme tel, cela n’a pas toujours été le cas.
L’Union soviétique, guidée par une très mauvaise interprétation marxiste-léniniste de l’économie, a mis en œuvre un modèle de développement basé sur une industrialisation rapide et massive. Sous ce régime, la priorité absolue était accordée à la production industrielle et agricole au détriment de l’environnement. L’objectif était de rivaliser avec les économies capitalistes occidentales et de démontrer la supériorité du modèle socialiste par des performances économiques impressionnantes. Cette approche hyper-productiviste a conduit à de grandes catastrophes allant du projet de déviation des fleuves sibériens à Tchernobyl.
En Chine, le régime maoïste a initialement poursuivi un modèle similaire, avec des campagnes telles que le Grand Bond en avant, qui visaient à accélérer l’industrialisation du pays. Cette campagne, lancée en 1958, a conduit à une mobilisation massive des ressources humaines et naturelles pour augmenter la production industrielle sans aucune forme de préoccupation pour la biodiversité.
Depuis les réformes économiques initiées par Deng Xiaoping à la fin des années 1970, la Chine a adopté un modèle de développement que l’on peut qualifier de Capitalisme d’État. Bien que toujours officiellement communiste, le pays de Mao Zedong a embrassé des politiques économiques ultra-libérales, axées sur une croissance exponentielle intégré à l’économie mondiale. Ce virage a accéléré l’industrialisation et l’urbanisation à un rythme sans précédent dans l’Histoire de l’humanité.
En Europe, les partis de gauche qui ont accédé au pouvoir, tels que les socialistes et les sociaux-démocrates, ont très souvent pris des décisions contraires aux principes écologiques. Ces partis, en cherchant à améliorer les conditions de vie par une augmentation des salaires, des services publiques et des protections sociales, ont, en même temps, encouragés une logique néo-libérale ce qui, étant contradictoire, avait au moins pour mérite de vouloir redistribuer un peu mieux les bénéfices générés par le capital.
En France, le Parti socialiste arrivé au pouvoir en 1981 sous François Mitterrand, a mené un tournant libéral très brutal dès 1983 avec ce que l’on nommera plus tard, « le tournant de la rigueur » (dont on attend toujours la fin). En 2012, le Parti Socialiste français a pu accéder une seconde fois au pouvoir en maintenant le cap d’une politique économique de droite déjà bien décomplexée sous Nicolas Sarkozy.
Cette fabuleuse épopée aura permis l’avènement de l’extrême centre ultra-libéral d’un point de vue économique, illibéral (d’un point de vue politique) que représente Emmanuel Macron et ses accointances avec les milieux financiers, l’autoritarisme, la rhétorique d’extrême droite mais certainement pas avec l’écologie.
Beaucoup diront alors que la gauche de pouvoir, ce n’est pas vraiment la gauche mais un faire-valoir d’une bourgeoisie dont les intérêts personnels prévalent toujours sur leurs petites sollicitudes à l’égard des plus fragiles et de la planète. Ce que l’on nomme plus communément la « gauche caviar ».
Dans les faits, les riches polluent beaucoup plus que les pauvres

Les études sur les émissions de carbone et les empreintes écologiques révèlent une réalité troublante (bien que peu étonnante) : les personnes les plus riches sont les plus gros pollueurs mais bénéficient des lieux et des moyens technico-matériels pour ne pas ressentir les conséquences de cette pollution[3]. Etrangement la plupart des riches votent à droite, à l’extrême droite ou pour des partis pas trop à gauche [4] afin de maintenir leurs privilèges.
En revanche, les personnes à faibles revenus, qui consomment moins (qualitativement comme quantitativement) en termes de biens et de services sont exposées à des conditions environnementales dégradées et sont les premiers touchés par la crise écologique (et votent aussi massivement pour l’extrême droite, il est vrai et un second article serait nécessaire pour comprendre cette dynamique sociologique).
Cette disparité illustre un phénomène connu sous le nom de « dumping environnemental », où les coûts environnementaux sont externalisés vers les groupes les plus vulnérables. A l’échelle internationale, les produits polluants ou toxiques sont exportés vers des régions du globe où les réglementations sont moins sévères, permettant ainsi aux pays riches de maintenir des niveaux élevés de consommation tout en transférant les impacts environnementaux ailleurs.
Quelques chiffres édifiants :
- Sur 2 450 milliards de tonnes de carbone émises depuis 1850, l’Amérique du Nord est responsable de 27 % d’entre elles, l’Europe de 22 %, la Chine de 11 %, l’Asie du Sud et du Sud-Est de 9 %, la Russie et l’Asie centrale de 9 %, l’Asie de l’Est (dont le Japon) de 6 %, l’Amérique latine de 6 %, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de 6 % et l’Afrique subsaharienne de 6 %
- En Amérique du Nord, les 50 % les plus pauvres émettent presque 10 tonnes de CO2 par an, les 40 % intermédiaires environ 22 tonnes et les 10 % supérieurs plus de 70 tonnes.
- En Europe, les 50 % des plus pauvres émettent près de 5 tonnes de CO2, les 40 % intermédiaires environ 10,5 tonnes et les 10 % des plus riches environ 30 tonnes.
- En Asie de l’Est, les 50 % des plus pauvres émettent en moyenne environ 3 tonnes de CO2 par an, tandis que les 40 % intermédiaires émettent près de 8 tonnes et les 10 % supérieurs près de 40 tonnes.
- Au niveau mondial, les inégalités d’émission de carbone entre individus offrent un tableau frappant : les 50 % les plus pauvres contribuent à 12 % des émissions totales (1,6 tonne par an). Les 10 % les plus riches émettent 47,6 % des émissions mondiales (31 tonnes par an). Les 1 % les plus riches émettent 110 tonnes par an, soit 16,8 % du total des émissions.
Sources disponibles et consultables ici : Les cas emblématiques de dumping environnemental et leurs conséquences
L‘intervention de l’Etat quand ça nous arrange
Historiquement, la droite s’est toujours opposée à l’intervention étatique, préférant des solutions de marché et une régulation minimale. Pourtant, la planification écologique nécessite des interventions étatiques significatives : régulations environnementales strictes, subventions pour les énergies renouvelables, taxation des pollutions, investissements dans des infrastructures de santé, de recherche et d’éducation, etc.
Cette conception se heurte à une réalité complexe et souvent contradictoire, où les États continuent d’intervenir de manière significative, parfois en faveur des intérêts des plus riches et des grandes entreprises[5].
Ainsi, le néolibéralisme ne se traduit pas par un non-interventionnisme absolu, mais par une forme particulière d’intervention qui peut souvent favoriser les plus riches et les grandes entreprises tout en détruisant les services publics et la nature. On parle alors de « privatisation des profits et de socialisation des pertes ». En gros, les profits des pesticides c’est pour les riches et la couverture des cancers liés aux pesticides, c’est pour la sécurité sociale et donc le contribuable. Pratique.
Imaginons une société où la socialisation des profits permettrait de financer la transition écologique. Un tel modèle pourrait inclure une réforme fiscale significative, où les taux d’imposition des entreprises seraient ajustés de manière à capturer une plus grande part des bénéfices exceptionnels, en particulier dans les secteurs qui font des profits de manière disproportionnée ou qui génèrent des externalités négatives importantes (c’est souvent lié). Ces recettes fiscales seraient ensuite directement investies dans des initiatives écologiques, comme la reforestation, la transition vers une agriculture durable, ou la restauration des écosystèmes dégradés.
Ce rêve ne figure dans aucun programme de droite.
« L’écologie sans lutte des classes : c’est du jardinage »
Cette critique bien connue des mouvements militant repose sur l’idée que l’écologie, telle qu’elle est parfois pratiquée ou promue, se concentre sur des actions individuelles et des choix de consommation, au détriment d’une analyse structurelle des rapports de classe et des systèmes de production qui sont à l’épicentre.

Ces pratiques, bien que louables et qui doivent être accessibles au plus grand nombre, sont parfois critiquées pour être déconnectées des préoccupations immédiates des classes populaires, qui doivent souvent jongler avec des contraintes économiques et une charge mentale beaucoup plus pressantes. « Fin du monde, Fin du mois, même combat ».
Le coût souvent plus élevé des produits et services écologiques rend ces choix difficiles pour une partie de la population, soulignant ainsi une fracture socio-économique dans l’accès à un mode de vie plus durable. Au-delà de l’aspect financier, ne pas tenter de comprendre les racines de la crise écologique que nous traversons, ne pas mettre le doigt sur les catégories sociales qui polluent le plus (tout en demandent aux pauvres de réduire leur pollution) revient à réduire l’écologie à une modeste entreprise de ferme pédagogique qui serait sponsorisée par Monsanto.
Écologie et émancipation sociale
Cette critique est donc l’occasion de réconcilier l’écologie avec la lutte des classes. Des penseurs comme André Gorz, dans son ouvrage Écologie et politique (1978), ont tenté de construire une écologie politique qui ne se limite pas aux gestes individuels mais qui vise une transformation profonde des structures économiques et sociales. Il s’agit de repenser les modes de production, de consommation, et les rapports au travail, pour créer une société qui soit non seulement écologiquement durable mais aussi socialement juste.
Les concepts d’éco-socialisme et d’écologie sociale cherchent à intégrer ces deux dimensions, en affirmant que les crises écologiques ne peuvent être résolues sans une redistribution radicale du pouvoir et des ressources. Ils plaident pour une approche holistique qui lie la protection de l’environnement à la lutte contre les inégalités économiques et sociales, reconnaissant que les deux sont intrinsèquement connectées.
Le capitalisme détruit la nature, les corps et les esprits
L’écoféminisme, en tant que courant de pensée interdisciplinaire, offre une puissante analyse critique du capitalisme en mettant en lumière ses liens avec l’exploitation du vivant et les structures de domination patriarcale. Cette approche postule que le capitalisme ne se contente pas d’exploiter les ressources naturelles ; il est également profondément intriqué avec des formes de domination et de violence qui affectent non seulement la nature mais aussi les minorités, dont les femmes.

Cette perspective propose une lecture intersectionnelle des systèmes d’oppression, soulignant que la violence et la domination exercées par le capitalisme sont à la fois écologiques et sociales, et qu’elles se renforcent mutuellement. Le capitalisme est une force qui non seulement détruit les écosystèmes mais aussi érode les modes de vie indigènes, les structures communautaires ainsi que les corps et les esprits des populations exploitées dont les femmes furent, depuis la nuit des temps, les victimes dans la sphère privée comme publique.
La domination des ressources naturelles est intrinsèquement liée à la domination des êtres humains, particulièrement ceux qui sont vulnérables en raison de leur genre, de leur origine ou de leur classe sociale.
Françoise d’Eaubonne est une figure centrale et pionnière du mouvement écoféministe. Dans son ouvrage fondateur Le Féminisme ou la Mort (1974), la philosophe propose une réflexion novatrice qui explore les interconnexions entre patriarcat, capitalisme et destruction écologique.
Elle argue que, historiquement, les sociétés patriarcales ont cherché à contrôler les corps des femmes, notamment par le biais de la reproduction, de la sexualité et du travail domestique. Ce contrôle a souvent été justifié par des discours essentialistes qui lient les femmes à la nature en raison de leur capacité à donner la vie, les réduisant à des fonctions biologiques et à des rôles « naturels » au sein de la famille et de la société.
Parallèlement, Françoise D’Eaubonne voit une corrélation certaine entre l’exploitation des femmes et celle de la nature, les deux étant perçues comme des objets à contrôler et à utiliser au profit de l’homme.
À la question, « peut-on être féministe et de droite ? », la réponse me semble être la même. Bien qu’un autre article serait nécessaire pour approfondir la réponse, il présenterait de nombreuses similitudes avec celui-ci. Ne dit-on pas d’ailleurs, chez les militant-es écoféministes que « le féminisme sans lutte des classes, c’est du développement personnel » ?
Pour aller plus loin : La ferme des soeurs, paysannerie queer et féministe
« Mais enfin, l’écologie ça devrait concerner tout le monde et pas être un programme ou un parti politique »
L’argument selon lequel l’écologie devrait transcender les clivages partisans est juste : la crise écologique est une problématique globale qui affecte ou affectera tous les êtres humains (moins les riches quand même), indépendamment de leurs affiliations politiques.
Toutefois, être sincèrement concerné par l’écologie implique bien plus qu’un simple intérêt ou une préoccupation pour le sujet. Cela nécessite une remise en question profonde des structures économiques et des valeurs qui sous-tendent notre société.
L’occultation des inégalités, malgré leur documentation extensive par les sciences sociales, est ainsi un reflet de l’incapacité ou du refus de voir au-delà de sa propre perspective. Cette dissonance cognitive ne tient pas compte de l’ensemble des données empiriques et des analyses théoriques qui montrent que les inégalités sont des phénomènes structurés et organisés par des choix politiques.
Tels les platistes refusant d’accepter la forme sphérique de la Terre malgré des preuves scientifiques indéniables que l’on ne peut observer qu’en allant dans l’espace, les individus qui ignorent les liens entre inégalités sociales et crise écologique choisissent une vision de la réalité qui reflète seulement ce qu’ils vivent au quotidien (et ça va, il n’y a pas le feu à la piscine de la villa).
En finir avec la pureté militante
La condescendance et la morale de certain-es militant-es (et d’autres personnalités problématiques à plus d’un titre) ne rend pas toujours service aux mouvements de gauche qui sont tout à fait critiquables et perfectibles quant aux questions écologiques (et bien d’autres). Les penseur-euses écolo ont souvent été confrontés à leurs propres erreurs et leurs incohérences.
Cette « errance » est une composante naturelle de la réflexion et de l’évolution des idées. Dans un monde capitaliste, l’écolo le plus exemplaire sera forcément amené à rentrer en contradiction avec ses engagements et ce plusieurs fois par jour (pour se nourrir, pour travailler, etc). La quête de pureté idéologique est une illusion, tant les idées et les convictions sont façonnées par des contextes historiques et culturels.
Alors si vous lisez cet article en étant de droite (ça m’étonnerait mais sait-on jamais) tout en vous inquiétant pour la planète, c’est un bon début mais c’est surtout un faux départ. La pensée « écolo de droite » – si tant est qu’elle existe – passe à côté d’une dimension fondamentale et, de fait, occulte les causes racinaires de la crise environnementale que les pensées de gauche – perfectibles et critiquables – mettent en exergue.
Les électeur-ices de droite ne sont donc pas forcément contre la nature mais ils soutiennent un système qui la détruit.
Et puis, il n’y a qu’à voir avec quelle violence constante les représentant-es de la droite et de l’extrême droite traitent les écologistes, les comparant à des terroristes, usant du mot « wokisme » à chaque remise en cause des dérives du capitalisme, affirmant très volontiers que, décidemment, l’écologie ce n’est vraiment pas leur problème. Et cela pour des raisons qui ne sont pas intellectuelles mais plutôt morales.
En effet, l’écologie demande aux gens aisé-es de droite de remettre en question leurs modes de vie et leurs privilèges tout en partageant un peu de leur richesse. Certain-es seront donc tenté-es de faire diversion en mettant constamment l’immigration au cœur des débats (pourtant une des conséquences des inégalités structurelles que produit le capitalisme) et feront adhérer tout un pan de la société – moins fortunée – à leurs obsessions réactionnaires.
Un texte de Chat Gepeto
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Néolibéralisme
[2] https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2020-1-page-208.htm?ref=doi
[3] https://www.oxfam.org/fr/communiques-presse/les-1-les-plus-riches-emettent-autant-de-co2-que-deux-tiers-de-lhumanite
[4] https://www.bondyblog.fr/politique/presidentielle-2022/radicalisation-de-la-bourgeoisie-le-vote-dextreme-droite-dans-les-quartiers-riches/
[5] https://www.alternatives-economiques.fr/emmanuel-macron-president-riches-experts-formels/00108501
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2 réflexions sur “Peut-on être écolo et de droite ?”