La notion de post-vérité s’est imposée depuis une vingtaine d’années pour décrire un climat discursif où la factualité cesse d’être le principal critère d’adhésion à une idée. Le terme a été popularisé dans les années 2010, notamment après le référendum sur le Brexit et l’élection présidentielle américaine de 2016, moments où l’on a vu se cristalliser une tension déjà ancienne entre vérité objective, croyances individuelles et mobilisation émotionnelle.
Historiquement, la post-vérité ne surgit pas ex nihilo. Les sciences humaines rappellent que les sociétés ont toujours connu des récits partiels, des propagandes ou des mythologies politiques. Ce qui distingue l’époque contemporaine tient à l’ampleur et à la rapidité de la circulation de l’information, ainsi qu’à l’effritement des autorités traditionnelles de vérification. Les travaux de spécialistes en psychologie cognitive, comme ceux de Daniel Kahneman ou de l’école des heuristiques et biais, montrent que l’esprit humain accorde spontanément davantage d’importance aux récits qui confirment ses intuitions ou son identité qu’aux données empiriques. La post-vérité s’enracine précisément dans ce mécanisme: l’émotion devient un vecteur plus puissant que la démonstration rigoureuse.
Scientifiquement, le phénomène s’observe à travers plusieurs dynamiques désormais bien documentées. Les bulles informationnelles accentuent la segmentation du débat public et réduisent l’exposition à la contradiction. Les études sur la diffusion virale montrent que les contenus émotionnels, positifs ou négatifs, voyagent plus rapidement et plus largement que les informations neutres. Enfin, les recherches en sociologie du numérique soulignent que la désintermédiation affaiblit les filtres professionnels, laissant se mêler allègrement expertise, rumeur et opinion.
La post-vérité n’est toutefois pas l’avènement d’un monde débarrassé de toute vérité. Elle traduit plutôt une transformation des conditions sociales dans lesquelles la vérité est discutée, reconnue ou rejetée. Elle interpelle ainsi les institutions démocratiques, les médias et l’éducation, en posant une question devenue centrale: comment maintenir un espace public fondé sur la vérifiabilité lorsque l’adhésion se déplace vers l’affect et l’identitaire?
Pour aller plus loin : Avec l’intelligence artificielle, les images en tant que preuves ne valent plus rien
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Une réflexion sur “Post-Vérité, Post-Factualité”